Aux Portes de Fer prend fin ma romance avec le
Danube. Une gorge vertigineuse aux parois drue m’accueille en terre Bulgare. Je
valse ce large couloir, une forteresse tombée dans l’oubli en guise de
bienvenue. Une tête titanesque taillée
dans la roche me regarde passer d’un long silence. Le vent fait des averses de
feuilles qui tapissent le sol. Les arbres portent du feu aux embouts de leurs
manches. L’automne, sur des odeurs que j’aime tant, saigne la forêt d’un rouge
vif.
Les journées se font désormais courtes et je
traverse mon dernier pays d’Europe. Le fleuve au dos, un col en face de singe
me pointe du doigt. Un col raide dans une forêt couleur de rouille. Le sommet
me voit enfin. Dans l’extase de l’effort j’ai le souffle court. Sitôt franchi,
trempant dans ma propre sueur, je redescends avant de ne geler sur place.
Puis des villages entiers sans une goutte
d’asphalte. Des villages où, dans leurs extrémités, des gitans bidonvillent
dans la misère. Des enfants me poursuivent sur des rues poussiéreuses de nul
pavé. Les sacs plastiques virevoltent au vent, s’accrochent à tout ce qui
pique. Les déchets lourds restent sur place, remplissent les fossés. Entre deux
bouts de rien, des prostitués font les grands chemins sans l’ombre d’un
trottoir. Un parapluie en guise de toit, une chaise plastique pour seul témoin,
elles attendent de potentiels clients entre deux champs. Elles payent le prix
fort pour la chaleur d’une cabine de camionneurs. Un épais maquillage entour
leurs yeux que les miens croisent de courts instant. Et jamais je ne leurs
donnent sourires car, en vain, il ne sera en rien miroir au mien. Dans des
habits vulnérables de peu de tissus, elles portent la peur au fond des yeux…
Suivant la ligne d’une ride, je continus et
trace le bout d’un continent. M’enfonce dans les bois, de la glace noire pour
toutes courbes. Le soleil perce les cimes de glace dans ce pays où partout des
vendeurs bordent les routes. Sur des kilomètres l’on ne vend que des patates.
Puis il y a cette province où le miel, dans des pots de fortunes, attend sur
des tables devant chaque maison. Des pommes sucrent l’air, coude à coude sur
des étagères. Une ville entière où l’on ne vend que du papier hygiénique dans
des couleurs pastelles.
Dans l’extrême Est de la Bulgarie, frontière
de l’Europe, il y a quelques mosquées. Mais, ici, on les appelle églises
Turques. Une frontière bien gardée, barricadée, barbelés et hautes clôtures.
Une fois franchit, il y aura les olives… la mer même!
Quitter
l’Europe direction Sud.
Quitter
l’Europe pour le thé… les minarets…
Quitter
l’Europe et j’appréhende les chiens qui déjà sont à mes trousses.
Quitter
l’Europe, il me faudra un bâton…
De sa longue histoire millénaire, la Bulgarie
céda de nombreux territoires de sur tout son contour. Mais Sofia est restée
comme dans le creux d’une main. La banlieue s’étale à s’y perdre pour un centre
moderne et bien vivant. Vivre dans Sofia, une halte dans ma course. Reprendre
son souffle, refaire mes muscles. Un port tranquille pour s’accoster un brin.
Improviser des quartiers, marcher la même rue plus d’une fois. Gouter le
quotidien, finir un verre de vin en main chez des gens de la bohême le soir
venu.
Des chants a capella résonnent les rues, font
du vacarme un tolérable. De par ma fenêtre de douces mélodies m’incitent à
aller voir dehors. S’adonner au cirque sous le soleil de midi. Troquer mes
roues pour une seule. Lancer des balles en l’air dans l’espoir de les
rattraper. Ces artistes de la rue sont des amis devenus. Vivre dans Sofia… Je
fais le funambule sur un fil et les accordéons nous accompagnent dans la
poursuite du plaisir.
Des
jours j’en fais un jeu.
D’une
vie de démesure j’en suis l’amant.
Je
roule sur le monde qui tourne sur lui-même.
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