2011/11/28

Jour 1
Jour 70















 De jours en semaines, des matins jusqu’aux noirs, je fixe sans cesse le sol en équilibre sur deux roues. Des heures durant,  je m’hypnotise avec des rues. Des milliers de kilomètres pour combien de tours de roue. Dans la distance, je suis devenu le devin de bien des chemins. Je lis dans les entrailles de goudron et les nids de poules en disent long. Le produit intérieur brut de toutes nations gravé à même les routes. J’analyse des accotements dans les montées pour éviter le pire dans la descente. Mes préférées sont les routes d’un noir gommant aux lignes blanches, fraîches et lisses. Quant aux pires, elles sont de braille. Faites d’un ramassis de gris qui semble miné par l’abandon.

 Chaque bout de frontière dépérit comme s’il n’appartenait à personne. Plus le chemin est étroit, plus les cracks sont profondes. Je me rappelle du temps où il y avait des bordures pour me tenir compagnie. Les garde-fous ont disparus. Sont remplacés par des carcasses de chiens sèchent aux os crevants. Je devine de tout sauf des autoroutes et les pavés toujours amènent une ville. Roulé sa bosse sur des chemins de fortune. Tracer des fonds de rangs que l’horizon perd dans le blanc du jour. Et peu importe le pays, les arbres de leurs racines font des bosses sur les chemins en lacet de toutes montagnes.

 Mes roues ont franchies une autre ligne invisible laissant derrière l’Europe. Sur ma selle, je suis assoiffé par tant d’effort mais j’ai faim de rouler d’avantage. L’ecstasy de l’inconnu; un junky à jamais… L’Asie droit devant comme un buffet  à volonté et des routes jusqu’à plus soif!



2011/11/25



 Aux Portes de Fer prend fin ma romance avec le Danube. Une gorge vertigineuse aux parois drue m’accueille en terre Bulgare. Je valse ce large couloir, une forteresse tombée dans l’oubli en guise de bienvenue. Une tête  titanesque taillée dans la roche me regarde passer d’un long silence. Le vent fait des averses de feuilles qui tapissent le sol. Les arbres portent du feu aux embouts de leurs manches. L’automne, sur des odeurs que j’aime tant, saigne la forêt d’un rouge vif.

 Les journées se font désormais courtes et je traverse mon dernier pays d’Europe. Le fleuve au dos, un col en face de singe me pointe du doigt. Un col raide dans une forêt couleur de rouille. Le sommet me voit enfin. Dans l’extase de l’effort j’ai le souffle court. Sitôt franchi, trempant dans ma propre sueur, je redescends avant de ne geler sur place.

 Puis des villages entiers sans une goutte d’asphalte. Des villages où, dans leurs extrémités, des gitans bidonvillent dans la misère. Des enfants me poursuivent sur des rues poussiéreuses de nul pavé. Les sacs plastiques virevoltent au vent, s’accrochent à tout ce qui pique. Les déchets lourds restent sur place, remplissent les fossés. Entre deux bouts de rien, des prostitués font les grands chemins sans l’ombre d’un trottoir. Un parapluie en guise de toit, une chaise plastique pour seul témoin, elles attendent de potentiels clients entre deux champs. Elles payent le prix fort pour la chaleur d’une cabine de camionneurs. Un épais maquillage entour leurs yeux que les miens croisent de courts instant. Et jamais je ne leurs donnent sourires car, en vain, il ne sera en rien miroir au mien. Dans des habits vulnérables de peu de tissus, elles portent la peur au fond des yeux…

 Suivant la ligne d’une ride, je continus et trace le bout d’un continent. M’enfonce dans les bois, de la glace noire pour toutes courbes. Le soleil perce les cimes de glace dans ce pays où partout des vendeurs bordent les routes. Sur des kilomètres l’on ne vend que des patates. Puis il y a cette province où le miel, dans des pots de fortunes, attend sur des tables devant chaque maison. Des pommes sucrent l’air, coude à coude sur des étagères. Une ville entière où l’on ne vend que du papier hygiénique dans des couleurs pastelles.

 Dans l’extrême Est de la Bulgarie, frontière de l’Europe, il y a quelques mosquées. Mais, ici, on les appelle églises Turques. Une frontière bien gardée, barricadée, barbelés et hautes clôtures. Une fois franchit, il y aura les olives… la mer même!

Quitter l’Europe direction Sud.
Quitter l’Europe pour le thé… les minarets…
Quitter l’Europe et j’appréhende les chiens qui déjà sont à mes trousses.
Quitter l’Europe, il me faudra un bâton… 




De sa longue histoire millénaire, la Bulgarie céda de nombreux territoires de sur tout son contour. Mais Sofia est restée comme dans le creux d’une main. La banlieue s’étale à s’y perdre pour un centre moderne et bien vivant. Vivre dans Sofia, une halte dans ma course. Reprendre son souffle, refaire mes muscles. Un port tranquille pour s’accoster un brin. Improviser des quartiers, marcher la même rue plus d’une fois. Gouter le quotidien, finir un verre de vin en main chez des gens de la bohême le soir venu.

 Des chants a capella résonnent les rues, font du vacarme un tolérable. De par ma fenêtre de douces mélodies m’incitent à aller voir dehors. S’adonner au cirque sous le soleil de midi. Troquer mes roues pour une seule. Lancer des balles en l’air dans l’espoir de les rattraper. Ces artistes de la rue sont des amis devenus. Vivre dans Sofia… Je fais le funambule sur un fil et les accordéons nous accompagnent dans la poursuite du plaisir.

Des jours j’en fais un jeu.
D’une vie de démesure j’en suis l’amant.
Je roule sur le monde qui tourne sur lui-même.

2011/11/19

Mon fleuve de chevet


 Au toi, Danube, qui prend sa source au bout d’une forêt noir fatiguée d’avoir trop plissée. Deux ruisseaux comme trois pommes font de tes pieds petite source. Quant à ta bouche en fin de course, elle s’en va cracher dans la Mer Noir. Tu serpentes l’Europe de tout ton corps. Un continent pour t’étaler sur ta longueur. Tu te loves dans des creux de collines. Tu t’élargis où il fait plaine. Coule où il fait plat.

 Au toi, Drava, plus vieux que tous ces ponts qui te traversent. Je t’aurais sauté d’un bon dans tes débuts. Mais rapidement tu prends du gallon et les bateaux prennent du tonnage à mesure que tu t’affirmes. Ton cours défile; tu t’épaissis dans ton courant. Les ponts n’ont d’autres choix que de courbés l’échine à ton passage

 Au toi, Donau, qui n’a jamais rien demandé à personne. Des villages sur tes berges se sont implantés et des barrages te coupent le souffle. De grandes villes siègent ton flanc. Des hommes, des femmes s’imposent mais plus personne ne te boit. Tu as perdu il y a longtemps le contrôle de ton propre débit!

 Au toi, Duna, qui abrite des oiseaux de toutes sortes. Nagent dans tes eaux des poissons immenses… légendaires… nucléaires… L’on te protège peu et te souille trop. Te souille depuis toujours de sur tout ton long. Des milliers de bouteilles vides attendent en vain de se faire remplir à tes côtés. Ce que l’on ne veut plus, on te le dégueule dans des tuyaux. Des seringues de pue à même les veines. De hautes cheminées t’accompagnent peu importe le nom que l’on te donne. Elles se consument lentement comme des chandelles éteintes qui ne cesse de fumer.

 Au toi, Dona, qui mélange ton sang à tant d’autre. Des ruisseaux anonymes t’infusent et de solides rivières t’affrontent. De tout cela ton nom ressort gagnant. Combien de champs irrigues-tu? Combien de lignes te pêchent? Et les bateaux, combien sont-ils à emprunter ton courant?

 Au toi, Dunarca, si long et moi qui avais envie d’aller voir ton delta. Embrasser ta bouche sauvage. Saler mon corps dans tes eaux que tu mélanges à la mer. Je renonce à peine dans la courbe de ton cou. Le courage me manque; le froid m’affronte. Un vent de front me gruge.

 À toi, Danube, mon fleuve de chevet. Tu m’as guidé dans la distance. Je te quitte pour une certaine Sofia plus jeune que toi. Ton haleine de brume sur les matins d’automne me manquera. Mais je sais que des bergers, peu importe le pays, garderont tes moutons par jour de grand vent. Les soleils couchants feront toujours des miroirs de feu sur ta surface.

 Au toi, Danube, mon fleuve de chevet…






2011/11/11



 Passé au travers de l’Europe, je traverse de minuscules pays. Remonte dans le temps à mesure que l’Est prend sur moi. Enjambe des frontières, ces lignes imaginaires, que l’on me confirme avec des étampes dans mon passeport.

 À peine franchie, la Serbie me plut dès le premier coup d’œil. Des maisons de briques beige s’alignent sur deux rangs. Les courts se portent à l’avant. Des piles de briques partout feront des murs plus tard. Des tas de tuiles en miettes ont fait des toits jadis. Au sol, des roulottes en jachère sont figées à même les champs et d’autres s’enracinent dans les boisés. Les chevaux se prennent pour des tracteurs. Ils ont repris le travail, le dur labeur. Tirant derrière eux de gros outils de bois. Des griffes de feuillues plongées à même la terre retournent les sols ayant donnés moissons.

 Une Serbie rurale à perdre de vue. De grands espaces sans fond accueillent des cultures de toutes saveurs. Une fois la récolte engrangée, l’on met le feu aux champs sur des kilomètres entiers. Des cendres pour l’an prochain et la nuit les flammes éclairent le ciel. Des feux sur de grandes distances parsèment le noir. Valsent avec la nuit. L’odeur du foin qui se consume à mon passage. L’automne tire sur sa fin.

 Des feux de joie m’accompagnent sur ces chemins de campagnes. Des hommes et des femmes, le regard franc, me regardent passer en silence. Des mains rudes se lèvent et me salut. Des gens de peu sans être pauvre et des choux partout. Des choux dans les jardins; des camions pleins. En pyramide aux bords des routes. Des choux pour l’hiver prochain.

 Un pays où les gens vivent encore de leurs récoltes. Un pays qui contrairement à d’autres n’a pas le luxe de laisser pourrir de ces fruits au sol. Le temps ici bat une mesure pour chaque saison. Et dans les champs, en bords des routes, les pommiers seront récoltés encore longtemps. En cette saison de toutes moissons, les matins gèlent et les glaneurs sont roi…
  
En Serbie, les ponts se font désormais rares car le Danube a les épaules larges. Belgrade en possède un que je traverse, curieux d’aller découvrir la ville.

 Belgrade de talons hauts et d’échiquiers. Sur de grandes rues piétonnes bondées de passants pressés, les femmes sur des échasses se pavanent. Elles évitent les trous de fausses fourrures au cou. De sur ces même artères, les amuseurs publics se donnent en spectacle pour qui veut bien prendre le temps de les apprécier. Tous ces axes dans un seul sens m’amènent aux poumons verts de cette ville. C’est dans ce parc, perché sur les remparts d’une ancienne forteresse, que tout Belgrade respire entre les branches. Les vieux s’y échec et mat du matin au soir jouant du coude avec des pions. Pour deux joueurs bien de curieux et ne joue pas qui veut. Tout s’anime quand les tours s’en mêlent et toujours le silence lorsque le roi tombe. De ces quelques jours d’arrêt, j’ai flâné avec en tête des fous, des pions et nulle reine. Quelques jours à débouler des rues bouillantes avec en guise de métronomes des talons aiguilles sur les pavés.

 Je perds la ville dans la brume d’Octobre. Reprends la route, les feux aux champs en guise d’escorte. Les gorges ne sont plus bien loin à présent.

 Je m’en vais passer les Portes de fer…

2011/11/09

Hymne au givre




 Les indiens sont partis avec l’été. L’automne c’est finalement assis sur ses lauriers. Les premiers matins froids font désormais du givre sur l’herbe. Peinturant les campagnes de blanc que le soleil fait fondre une fois levé.

 De ces matins où le soleil est bienvenu. Des matins aux doigts qui gèlent. Des matins à perdre toute dextérité. Et  lorsque ces matins font de mon haleine du givre sur mon visage alors je baisse la tête.  Je roule à plein poumon et ne mange que des kilomètres. N’osant m’arrêter de peur de figer. Arrivé aux villages, la pause-café est longue et délicieuse. Pommettes aux joues, les yeux bouffis; je sèche mon linge saturé de sel et de  sueur. Les oreilles en feu je porte la barre au nez en permanence. D’un intérieur chaud, je vois alors dehors tranquillement prendre des Celsius.

 Passer son temps dehors et la météo dicte ma coiffure. La huppe me donne des airs gamins par jours de grand vent. Les longues descentes font de sur ma tête une crinière volumineuse. La pluie m’aplatit et quand le froid m’oblige au bonnet, ma tignasse est d’un gras luisant. Tous bords, tous côtés…pâte à modelé.

 Je crache sans arrêt sous l’effort et j’en bave dans les montées. Mon nez est devenu  une usine à morve. Sans arrêt je mouche en flèche entre deux coups de pédale. Je suis le petit poucet morvant des grands chemins givrés d’Europe. Je roule d’un café à l’autre suivant un fleuve de longue haleine.

Je peux désormais voir mon souffle en plein jour…

2011/11/07



L’Autriche m’aura donné du givre dans les jointures.
L’Autriche où déboule des rangs de vignes jusqu’au fleuve que l’automne transforme en toison d’or.
L’Autriche cyclable bord en bord, sur les quatre faces.

 De Vienne, la ville neuve, je ne vis presque rien. J’avais mes appartements privés à même son pouls et pour la peine j’ai flâné dans un grand lit.
 De Wien, la ville verte, je vis des arbres, des parcs, de longues îles et des gratte-ciels sans importance.
 De Vienna, la vaste ville, je vis des bateaux-piscines flotter sur le canal et une grande roue surréaliste.

Une ville refaite à neuf, bouillante, grouillante. Métropole à plusieurs centres. Moderne, aux goûts du jour. Et partout de sur tes murs le béton grafitisé de belle façon.






 Passer des champs pour des forêts. De par les champs jusqu’aux usines. Après les champs vient Budapest. C’est une ville ronde en forme de cible que le Danube déchire en deux. Sur une rive il y a Buda la bourdonnante. Pleine de commerces où s’entremêlent des tramways, des métros, de grands boulevards et petits bars. De son revers il y a Pest remplie de vieilles fondations construites à même l’histoire. Détruites par les conquêtes; des murs de pierres contre l’invasion.

 Au détour des rues posent muettes maintes statues de bronze. Elles nous regardent passer les jours durant sans un mot dit. Des hommes, des femmes et des enfants figés à même le sol où sur des bancs.

  Construite sur des sources d’eau bouillante, Budapest par endroits suinte du souffre de ces parois. Merci aux Turcs qui, lorsqu’ils occupèrent la ville, en firent des bains grandioses. De grands bains extérieurs et d’autres discrets que sous des dômes dégoutent des algues aux formes folles. Des bains de toutes chaleurs et de gros jet d’eau pour les massages. De la vapeur d’eau ouvre mes pores de peau. Sur un banc de marbre je m’allonge… m’endors. Des jours je flâne pour une vie de démesure dans une ville sulfurique.

 Reconnaitre ces quartiers par des statues au passage. Courser contre des autobus sur mes deux roues et toujours je coupe les taxis. Puis sans appréhension,  la fête s’est mise de sur mon chemin. Boire du rosé jusqu’à plus soif. Boire du rosé, voir venir l’aube avec des gens d’ailleurs, du Caire, d’Istanbul. De l’incroyable imprévisibilité du voyage j’en suis l’amant et les statues ne parlent pas.

 Que diraient-elles avoir l’usage des mots. Parleraient-elles des temps anciens avec noblesse. Que diraient-elles du temps maintenant. Que diraient-elles du futur du quand nous étions petits. Qu’on les oublie peu à peu dans le trafic et la fumée. On leurs marchent sur les pieds le regard posé ailleurs… le regard pressé.

Si seulement elles pouvaient parler…


2011/11/01

Effet miroir



 Aujourd’hui je veux une voile sur mon vélo. Un vent de plaine me fouette le dos. Tête baissée, possédé par la vitesse, dans l’inadvertance je traverse un pont. Sur l’autre rive, je me retrouver en Slovaquie un brin confus. Bratislava, la capitale, j’en suis perdu sur l’autre rive. Je déambule un bain de foule; zigzag des piétons. Au travers des visages, je distingue une femme du voyage. Une bourlingueuse de grands chemins qui comme moi roule sa bosse sur une monture d’acier.

 Effet miroir et éphémère, deux solistes se rencontrent au hasard d’une rue.
Un homme visant l’Est dans les débuts d’une traversée de long parcours. Une femme finissant la sienne. Une année durant ayant mis le cap sur l’Ouest. Elle a vu la Chine et sur ces sacoches s’accrochent encore des poussières du Moyen-Orient.

 Comme il est bon de sympathiser dans sa langue naturelle. Échanger des points de chute, comparer nos machines, se comprendre sans s’expliquer. Pointer des bouts de chemins sur des cartes… des bouts de rêves sur le papier. C’est une rencontre aux deux extrêmes d’une traversée de tous les semblables. Le temps est doux et passe bien vite. Ce bref moment tire sur le surréel et me marque. Trop tôt sans d’autre choix, l’on se donne du dos. Nous devons quitter la ville. Trouver un campement chacun pour soi avant que le jour ne tombe.

 Et ce même soir, je t’imagine à contre-courant. Moi dans ma tente, toi dans la tienne. La même fatigue dans nos deux corps. Le désir semblable d’aller voir ailleurs. Bordé tout deux par le Danube, nous nous endormons sous un ciel clair. Et dans l’air nocturne Morphée nous chante la même chanson.

Je me rappellerai longtemps de ton prénom femme miroir.
Car c’est le mien deux lettre en plus…