2011/11/25



 Aux Portes de Fer prend fin ma romance avec le Danube. Une gorge vertigineuse aux parois drue m’accueille en terre Bulgare. Je valse ce large couloir, une forteresse tombée dans l’oubli en guise de bienvenue. Une tête  titanesque taillée dans la roche me regarde passer d’un long silence. Le vent fait des averses de feuilles qui tapissent le sol. Les arbres portent du feu aux embouts de leurs manches. L’automne, sur des odeurs que j’aime tant, saigne la forêt d’un rouge vif.

 Les journées se font désormais courtes et je traverse mon dernier pays d’Europe. Le fleuve au dos, un col en face de singe me pointe du doigt. Un col raide dans une forêt couleur de rouille. Le sommet me voit enfin. Dans l’extase de l’effort j’ai le souffle court. Sitôt franchi, trempant dans ma propre sueur, je redescends avant de ne geler sur place.

 Puis des villages entiers sans une goutte d’asphalte. Des villages où, dans leurs extrémités, des gitans bidonvillent dans la misère. Des enfants me poursuivent sur des rues poussiéreuses de nul pavé. Les sacs plastiques virevoltent au vent, s’accrochent à tout ce qui pique. Les déchets lourds restent sur place, remplissent les fossés. Entre deux bouts de rien, des prostitués font les grands chemins sans l’ombre d’un trottoir. Un parapluie en guise de toit, une chaise plastique pour seul témoin, elles attendent de potentiels clients entre deux champs. Elles payent le prix fort pour la chaleur d’une cabine de camionneurs. Un épais maquillage entour leurs yeux que les miens croisent de courts instant. Et jamais je ne leurs donnent sourires car, en vain, il ne sera en rien miroir au mien. Dans des habits vulnérables de peu de tissus, elles portent la peur au fond des yeux…

 Suivant la ligne d’une ride, je continus et trace le bout d’un continent. M’enfonce dans les bois, de la glace noire pour toutes courbes. Le soleil perce les cimes de glace dans ce pays où partout des vendeurs bordent les routes. Sur des kilomètres l’on ne vend que des patates. Puis il y a cette province où le miel, dans des pots de fortunes, attend sur des tables devant chaque maison. Des pommes sucrent l’air, coude à coude sur des étagères. Une ville entière où l’on ne vend que du papier hygiénique dans des couleurs pastelles.

 Dans l’extrême Est de la Bulgarie, frontière de l’Europe, il y a quelques mosquées. Mais, ici, on les appelle églises Turques. Une frontière bien gardée, barricadée, barbelés et hautes clôtures. Une fois franchit, il y aura les olives… la mer même!

Quitter l’Europe direction Sud.
Quitter l’Europe pour le thé… les minarets…
Quitter l’Europe et j’appréhende les chiens qui déjà sont à mes trousses.
Quitter l’Europe, il me faudra un bâton… 




De sa longue histoire millénaire, la Bulgarie céda de nombreux territoires de sur tout son contour. Mais Sofia est restée comme dans le creux d’une main. La banlieue s’étale à s’y perdre pour un centre moderne et bien vivant. Vivre dans Sofia, une halte dans ma course. Reprendre son souffle, refaire mes muscles. Un port tranquille pour s’accoster un brin. Improviser des quartiers, marcher la même rue plus d’une fois. Gouter le quotidien, finir un verre de vin en main chez des gens de la bohême le soir venu.

 Des chants a capella résonnent les rues, font du vacarme un tolérable. De par ma fenêtre de douces mélodies m’incitent à aller voir dehors. S’adonner au cirque sous le soleil de midi. Troquer mes roues pour une seule. Lancer des balles en l’air dans l’espoir de les rattraper. Ces artistes de la rue sont des amis devenus. Vivre dans Sofia… Je fais le funambule sur un fil et les accordéons nous accompagnent dans la poursuite du plaisir.

Des jours j’en fais un jeu.
D’une vie de démesure j’en suis l’amant.
Je roule sur le monde qui tourne sur lui-même.