2012/02/29





  Dès ma sortie hors de la ville-monstre se sont déballés de grands espaces sous mes roues. Déroulées d’immenses vallées de roches qui s’éventrent pour se perdent dans le désert. Le fond de l’air est frais, voir froid. J’en perds le souffle dans la conduite. Le regard posé sur cette ligne de fond qu’est l’horizon, la route s’étire. Se perd et je veux aller voir sa fin. Le soleil teint la terre et brûle mon nez dans les mêmes tons. Les ombres s’allongent; des murs de sable dansent sur le plat. Fouettent des dômes d’argent sur leurs passages. Les formes s’effacent dans de la poussière de vent. S’y cachent des puits d’un caravansérail à l’autre sur cette route de la soie.

 Sur ces lignes droites d’un noir blanchit, je cherche des chameaux solitaires du bout des yeux. Ces bêtes venues de loin, d’Afghanistan, entreprennent des chemins qui tiennent du secret. Seuls, ils traversent les frontières avec dans leurs bosses un précieux trésor. Contrebandiers incognitos avec caché du sous la peau l’opium que l’on récupère ici pour la Turquie et puis le reste du monde. Partout posées des tours de sable, vigil jadis contre l’invasion. Forteresses oubliées, ils font désormais office de repères pour les avaleurs de rêves. Pour les nombreux fumeurs d’opiums de ce pays.

 Ce ne sont plus de simples villages mais des villes entières faites de boue. Tenues en place par de la paille. Des labyrinthes où j’aime à  m’y perdre. Cachant des ombres aux couteaux entre des murs d’aucun angle droit. Et lorsque, loin des machines bruyantes, le silence aboutit ne flotte dans l’air que le bruit des fuites de gaz naturel aux travers des tuyaux. Je fais des jours à flâner la vie que des après-midis font sans bruit. La nonchalance de lire sur un pont-miroir. Découvrir un monde de symétrie au travers de ruelles croches. Des mosquées façonnées de mains de maîtres avec au centre toujours un point d’eau. Des constructions d’une incroyable perfection où tout n’est qu’arches et symétrie. Faites de milliers de tuiles jaunes aux motifs spectaculaires qu’un fond bleu contraste. Des murs de poèmes dans des villes de boue. De vieilles portent de bois dans un monde sans arbres s’ouvrent sur des bazars bondés. D’où s’infiltrent les lumières du jour par des trous que des dômes font kaléidoscopes.

 Mais pour accéder de tels endroits, il faut traverser de longues banlieues laides et expansives. Les mille et une nuits se sont évaporées avec le millénaire. La lampe à l’huile est remplacée par le néon. Si les tapis volaient autrefois, maintenant ils ne font que caresser la paume des pieds dans chaque maison. Le monde change, leur monde change. Mais même s’il faut traverser bien du laid et nombreux bruit, le charme du Moyen-Orient reste. Ce charme légendaire suinte les murs, vit dans les dômes… murmures les arches… Un charme unique que l’hospitalité fera complice encore longtemps.


2012/02/20



 À bord d’une longue chenille de d’acier, je suis entré dans Téhéran, la ville monstre. Y laissant derrière l’hiver ainsi que quelques flocons d’humilité. À première vue, la ville ne ressemble en rien à la rumeur géante des dires de certains. Mais bien vite je réalise ton amplitude. Tu t’étales vaste sur ce qui était autrefois des champs. Jusqu’au Nord où tu te buttes aux montagnes qu’un smog affamé avale. Tu m’as fait peur dès mes premières bouffées d’air dans tes artères. Traverser les rues relève de la roulette russe. Dans une cacophonie de fous, un trafic de titan ravage tout sur son passage. Les bouchons de circulation se perdent l’un dans l’autre. Téhéran toute entière sent ``l’exhaust``. Cracheuse de fumée noire, le monstre ne dort jamais. Te respirer le jour. La nuit, dormir les narines pleines de ton cracha. Des freins et des klaxons, mélodie de fond, nous brise les oreilles sans trêve. Je fais des rêves surpeuplés et bruyants. Sur tes murs, de sur ta crasse, l’on a peint de grandes murales. Peindre des arbres, des papillons et des oiseaux là où il n’y en a plus. Sont aussi peint les élus de ce pays.  Des murs entiers de visages sévères pour nous rappeler qui sont les maîtres ici. Pour ne pas oublier qu’il n’y a aucun choix. Que l’on ne peut crier.…

 Dompter la bête, apprivoiser ces rues. À petit feu, les jours mon habitués à ta folie. Faire de mon temps des visites aux ambassades des quatre coins de la ville. Nager dans une mélasse consulaire épaisse. Pour toute question sa réponse vague. Douze  millions d’hommes et de femmes habitent la métropole et l’étranger se fait rareté. Peu importe la densité des foules, je reste le néon dans une mer d’ampoules. La fin de mon séjour me découvre des habitudes dans ton centre. Connaître les horaires du boulanger, savoir où trouver les oranges de petits prix et les sandwichs aux spaghettis. Le soir, pour changer d’air, respirer des fumées aux saveurs de menthe. Le narguilé est l’un des rares plaisirs nocturnes de ce pays.

 Sans mensonge, il me fera grand bien de te quitter. J’ai déjoué les bureaucrates. Je suis ressortis propre de ce bourbier consulaire. Transformer des dollars dans la rue du marché noir. Le taux du jour toujours changeant et l’embargo fardeau  pesant pour tout l’Iran. Je retourne en selle le Sud en tête; trois millions de rials en poches…

Là où l’on peut voir plus loin qu’un bout de rue.
Là où l’air ne sent rien.
Là où rouler ne relève pas du suicide.
Le Sud, mes roues en bavent de le traquer, de le draguer.
Je veux m’emplir de ton désert.
Je veux voir des yeux de femmes…




2012/02/19



 Faire de cette chambre sans cachet le havre nonchalant d’une journée qui s’enfuit dans l’attente. Une lumière tendre imprègne des murs jaunit par les années. Par tous les passants des nuits passées. Dehors semble si loin. Mais en sourdine s’accouplent klaxons et nombreux freins.  S’y coupent dans une cacophonie loin du symphonique. Passé ma porte, s’étend de gros nuages d’où tombent de grasses gouttes sur Téhéran.

 Quant à moi, de tout mon long sur des coussins, je bouge à peine. Je fais le chat. Je me prélasse, feutré dans ce minimum de confort me convenant. Dehors peut bien faire ce qu’il veut. Le matin s’étire lentement sur une lumière qui attendrit l’heure. La pluie par la fenêtre fait des cercles dans des flaques. Dégoutte sur les trottoirs. Des excès urbains en rigoles noires. Que la pluie lave cette sale ville de toute la crasse qu’elle dégueule chaque jour. Qu’elle efface jusqu’au dernier son.

 De la pluie pour du silence. Baignant dans une lumière couleur d’ambre, le jour avance. Dans ma tanière, caché, pacha, je fais le roi dans mes haillons. La presse en rien, les heures vagues me passe dessus à mi-chemin entre farniente et fénéanse.

2012/02/15

Kurdistan et fin!



 De ce pays j’ai vu beaucoup et sur sa fin ce préoccupent de grands changements. Sur des détails s’opère un paysage changeant. Dans une langue bien à eux, les Kurdes portent à même le cœur un rêve sauvage qui les habite depuis longtemps. Le rêve d’un pays. Un songe en forme de terre… le Kurdistan. Cet idéal de part égal entre l’Irak et puis l’Iran. Que la Turquie ferait majoritaire et la Syrie petite pointe. Mais ce pays n’existe pas et chaque pont entre deux rives est à l’office du contrôle. L’armée Turque, blindée à vif, fait les cent pas sur un territoire où ils ne sont ni natifs, ni bienvenus. Ils contrôlent l’identité sur des bouts de papier. Beaucoup de vieilles dames pour peu de rebelles. Ils sont blindés dans des machines. Caché derrière des révolvers contre la révolution. Pour tout peuple ces extrêmes… ces extrémistes. Le Kurde est fier, certes, mais des sourires si francs ne mentent pas. Des bras ouverts trompent rarement.

 Au fin fond de ce pays, les vaches ont envahi les rues. Les troupeaux de chèvres qui les traversent sont sans soucis. Les autobus ne partent que lorsqu’elles sont pleines du plancher au plafond. Le temps s’étire en différé et toujours il y a de la place pour un passager de plus. Des hordes d’enfants sur de longues distances me prennent en chasse dans des rues aux odeurs charbonneuses. Ils sont armés du bout des lèvres d’un seul mot répété deux fois. Money, money, du bout des lèvres, les doigts gelés et la peau sale. Des boules de neiges, des roches ou des kiwis me sont lancés lorsque les sourires se font méchants mais pas souvent! Même le thé, symbole de cette nation, se boit différemment au Kurdistan. C’est un cube de sucre à même la langue qui bu à petites gorgées brulantes se dissout dans l’amertume.

 Il m’a fallu longer une frontière barricadée et cent mille barbelés. Une ligne déserte coupant la Syrie au reste du monde. Fermé pour ne pas nous montrer ce qui s’y passe à l’intérieur. Longer cette clôture triste la plaine plisse et toute petite sur la montagne Mardin y est posée. C’est une vieille citée construite en bloc. Pour une maison si colle une autre. Un labyrinthe de rues que seul le marcheur peut emprunter. De ruelles boueuses en escaliers glacées amènent des bazars d’ombres. Nombreux minarets percent le ciel et les ânes chargés de charbon fond du porte à porte jusqu’à tard dans la nuit. La neige s’est faite manne et au matin, la ville entière de sur ces toits est devenue terrain de jeu pour mille enfants…

 Je quitte la Turquie avec en bouche un gout grandiose. Des endroits vus et respirés. Perdre le souffle  de voir beaucoup. Cette fierté dans chaque regard. La fierté de vivre ici reflète l’amour qu’ils te portent. J’ai roulé sur tout ton corps et ton odeur reste imprégnée dans mes bagages. Je te reverrai un temps plus tard… Te reverrai dans une saison autre… merci