2011/11/19

Mon fleuve de chevet


 Au toi, Danube, qui prend sa source au bout d’une forêt noir fatiguée d’avoir trop plissée. Deux ruisseaux comme trois pommes font de tes pieds petite source. Quant à ta bouche en fin de course, elle s’en va cracher dans la Mer Noir. Tu serpentes l’Europe de tout ton corps. Un continent pour t’étaler sur ta longueur. Tu te loves dans des creux de collines. Tu t’élargis où il fait plaine. Coule où il fait plat.

 Au toi, Drava, plus vieux que tous ces ponts qui te traversent. Je t’aurais sauté d’un bon dans tes débuts. Mais rapidement tu prends du gallon et les bateaux prennent du tonnage à mesure que tu t’affirmes. Ton cours défile; tu t’épaissis dans ton courant. Les ponts n’ont d’autres choix que de courbés l’échine à ton passage

 Au toi, Donau, qui n’a jamais rien demandé à personne. Des villages sur tes berges se sont implantés et des barrages te coupent le souffle. De grandes villes siègent ton flanc. Des hommes, des femmes s’imposent mais plus personne ne te boit. Tu as perdu il y a longtemps le contrôle de ton propre débit!

 Au toi, Duna, qui abrite des oiseaux de toutes sortes. Nagent dans tes eaux des poissons immenses… légendaires… nucléaires… L’on te protège peu et te souille trop. Te souille depuis toujours de sur tout ton long. Des milliers de bouteilles vides attendent en vain de se faire remplir à tes côtés. Ce que l’on ne veut plus, on te le dégueule dans des tuyaux. Des seringues de pue à même les veines. De hautes cheminées t’accompagnent peu importe le nom que l’on te donne. Elles se consument lentement comme des chandelles éteintes qui ne cesse de fumer.

 Au toi, Dona, qui mélange ton sang à tant d’autre. Des ruisseaux anonymes t’infusent et de solides rivières t’affrontent. De tout cela ton nom ressort gagnant. Combien de champs irrigues-tu? Combien de lignes te pêchent? Et les bateaux, combien sont-ils à emprunter ton courant?

 Au toi, Dunarca, si long et moi qui avais envie d’aller voir ton delta. Embrasser ta bouche sauvage. Saler mon corps dans tes eaux que tu mélanges à la mer. Je renonce à peine dans la courbe de ton cou. Le courage me manque; le froid m’affronte. Un vent de front me gruge.

 À toi, Danube, mon fleuve de chevet. Tu m’as guidé dans la distance. Je te quitte pour une certaine Sofia plus jeune que toi. Ton haleine de brume sur les matins d’automne me manquera. Mais je sais que des bergers, peu importe le pays, garderont tes moutons par jour de grand vent. Les soleils couchants feront toujours des miroirs de feu sur ta surface.

 Au toi, Danube, mon fleuve de chevet…